
Pauline Rousseau
Edition 3 - 2022
Les pĂȘcheurs
En face de lâeau agitĂ©e, se dĂ©ploie une large plage de sable bordĂ©e par une falaise ocre.
La plage de Sidi R'bat a Ă©tĂ© pendant des dĂ©cennies frĂ©quentĂ©es par les nombreux pĂȘcheurs de la rĂ©gion de Massa. Cette rĂ©gion, au sud dâAgadir, est depuis le Moyen-Ăąge connue pour ĂȘtre un lieu de pĂȘche.
Dans les annĂ©es 90, il nây a pas si longtemps donc, on avait certains matins cent cinquante bateaux qui venaient pĂȘcher Ă Sidi R'bat, comme me le raconte Brahim, pĂȘcheur natif du village.
Pourtant, lorsque je me promĂšne sur la plage, je ne vois aucun bateau.
La roche colorée qui ceint la plage attire mon attention.
En me rapprochant je constate quâelle est percĂ©e de grottes qui semblent amĂ©nagĂ©es. JâĂ©change avec les quelques pĂȘcheurs prĂ©sents et dĂ©couvre que ces refuges troglodytes ont Ă©tĂ© excavĂ©s par les pĂȘcheurs eu-mĂȘmes au dĂ©but des annĂ©es 1990. Ils mâexpliquent quâils sâĂ©taient Ă lâĂ©poque rĂ©unis pour se rĂ©partir les espaces et que chacun avait construit sa propre grotte Ă mĂȘme la falaise.
LâidĂ©e initiale Ă©tait dâavoir des stockages pour le matĂ©riel de pĂȘche. Et aussi un lieu oĂč se reposer lâaprĂšs-midi, ou boire un thĂ©, au plus proche de la mer.
Environ 50 grottes jalonnent la falaise de Sidi R'bat. Elles appartiennent toujours Ă ceux qui les ont creusĂ©es ou Ă leurs enfants. Câest le cas de Ali et Ahmet, deux frĂšres tous deux pĂȘcheurs qui ont hĂ©ritĂ© la grotte de leur pĂšre.
On mâexplique que les grottes creusĂ©es Ă lâĂ©poque sont, dĂ©sormais numĂ©rotĂ©es et rĂ©pertoriĂ©es. Et que câest maintenant trĂšs contrĂŽlĂ©, ce nâest plus possible dâen creuser des nouvelles.
Aujourdâhui, il nây a quasiment plus de pĂȘcheurs Ă Sidi R'bat, pour une raison aussi simple quâalarmante : il nây a plus de poisson. Les causes de leur disparition sont diverses : pollution de lâeau par les villes voisines, rĂ©chauffement climatique, pĂȘche au chalutier dans les grands ports Ă proximitĂ©.
Les pĂȘcheurs qui, il y a encore 15 ans, vivaient de la pĂȘche, doivent aujourdâhui trouver des alternatives ou partir. La grande majoritĂ© dâentre eux a quittĂ© Sidi R'bat.
Parmi ceux qui sont restés, il y a Brahim qui pratique la chasse sous-marine au harpon, Ahmed et Ali qui se rendent de maniÚre épisodique vendre leur force de travail dans des plus grands ports, Larsen qui est maintenant dans le bùtiment, aprÚs toute une vie en mer.
Quand ils ne travaillent pas, ils passent la majoritĂ© de leur temps dans leurs grottes, face aux embruns. Certains ont une maison au village, mais ils dorment rĂ©guliĂšrement dans leurs grottes. Ils aiment ĂȘtre Ă lâĂ©cart du village au plus proche de lâeau.
«- Ici je suis tranquille. » me dit Ahmed, en me faisant goĂ»ter le dĂ©licieux tagine de poisson quâil est en train de prĂ©parer. Il mâexplique que depuis quâil a divorcĂ©, il vit complĂštement dans sa grotte, câest bien amĂ©nagĂ©, il y a des sanitaires et lâĂ©lectricitĂ©, il est bien.
Brahim mâoffre un thĂ©, on discute, je comprends quâil sâagit avant tout de libertĂ©, de ne dĂ©pendre que de soi et des Ă©lĂ©ments, finalement.
«- La mer si tu la respectes, elle te donne, elle te donne de quoi bien manger et bien vivre ».
Ce jour lĂ , la mer est haute et houleuse. M'Barak mâindique que chaque annĂ©e il constate la montĂ©e des eaux. BientĂŽt la mer avalera en elle la falaise et aussi les grottes. Je me dis quâils sont courageux ces hommes qui dĂ©dient leurs vies Ă quelque chose dâaussi incontrĂŽlable.
Larsen est heureux de voir les flots se dĂ©chaĂźner, câĂ©tait trop calme ces derniers jours. En partant, il me souffle :
« -Tu sais, il faut jamais trop lui faire confiance. La mer câest comme un bĂ©bĂ©, tu crois quâil dort et dâun coup câest la crise!"
Brahim, Ali, Ahmet, Ahmed, M'Barak, Larsen.